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Publié en juin 2013
Les expatriés aiment leur vie internationale, qui leur permet de multiplier les expériences de vie et de découvrir le monde. Qu’en est-il de leurs enfants qui les suivent au gré de leurs transhumances ? Comment construisent-ils leur identité ? Quels adultes deviendront-ils ?
La population des expatriés ne cesse d’augmenter depuis 50 ans ; les études nous permettent aujourd’hui de mieux les connaitre et donc de mieux les aider.
Les personnes qui ont eu une enfance internationale ont aujourd’hui un nom ; les anglo-saxons les appellent les « Third Culture Kids », ou les « Global Nomads ». Ils forment une communauté, qui a sa culture propre. Toutefois cette culture a la caractéristique d’être invisible aux yeux des autres car elle est sans territoire, sans langue, et sans trait culturel particulier. Les membres sont liés par une expérience commune et un mode d’être commun, difficilement descriptible.
Contrairement à un enfant sédentaire, l’enfant expatrié construit son identité à la fois à travers la mobilité et la diversité. Il a besoin d’être accompagné à chaque séparation, qui est vécue comme une sorte de deuil. Il a aussi besoin d’être soutenu dans l’exploration et l’intégration de sa propre diversité culturelle. Ces deux dimensions de sa vie demandent une attention bien particulière de la part des parents et des éducateurs ; elles peuvent devenir facteur d’opportunités et de résilience.
La famille est le port d’attache dans la vie expatriée, où l’environnement matériel et humain est une donnée éphémère. La vie de famille est un microcosme qui prépare l’enfant à vivre les émotions des séparations et à faire face aux différences culturelles. Un cadre parental à la fois soutenant et limitant, respectueux et ferme, procure à l’enfant une sécurité intérieure.
Toute séparation est accompagnée de tristesse. Savoir dire sa tristesse à un ami, c’est lui témoigner son amitié et lui exprimer son désir de ne pas l’oublier et de ne pas être oublié. Partir ne veut pas dire rompre le lien, mais le vivre sous une nouvelle forme.
L’enfant a besoin de continuité pour se construire et les parents expatriés développent des trésors d’imagination pour leur permettre de retrouver les objets, activités et gouts familiers. Au moment du départ, ils peuvent demander à leur enfant ce qui, à ses yeux, est important d’emporter.
Les enfants vivent l’instant présent et ont du mal à se projeter ; ils ont besoin de réponses très concrètes à leurs questions sur leur future vie. D’autre part, les responsabiliser, en les faisant participer aux préparatifs de départ, leur permet d’avoir un certain pouvoir sur leur vie (empowerment) et de transformer leur sentiment d’impuissance. Après le déménagement, ils auront aussi besoin d’aide, pour créer un équilibre entre le maintien du lien avec leurs amis d’avant et l’investissement dans la découverte du nouveau pays.
L’enfant exprime ses émotions autant avec les mots qu’avec son corps. Il faut savoir se taire pour laisser parler un enfant. D’autre part, pour libérer ses émotions il a besoin de bouger, danser, courir, frapper (un coussin), crier… et de s’amuser en famille.
La question « D’où viens-tu ? Where is home for you? », devient plus difficile au fur et à mesure que l’enfant expatrié grandit. Cette question des origines demande souvent une explication compliquée ou un choix impossible. L’identité de Citoyen du Monde réunit le sentiment d’appartenir à chaque pays de résidence et, en même temps, à tous ces lieux à la fois. Les enfants, quel que soit leur âge, sont toujours soulagés lorsqu’ils se reconnaissent dans l’histoire d’autres enfants internationaux, d’autres Third Culture Kids.
Mettre son enfant dans une école du pays est un choix très exigeant. L’enfant, dans un tel cas, adopte des jeux, des blagues et des valeurs différentes de celles de ses parents. Les parents doivent éviter les critiques, et au contraire encourager l’exploration d’une autre réalité culturelle, tout en expliquant les différences, de manière neutre et respectueuse. Ces paroles vont aider l’enfant à construire son identité pluriculturelle comme une mosaïque harmonieuse.
Les amis aux quatre coins du monde sont les références des enfants, car les racines des expatriés ne sont pas géographiques, mais humaines et culturelles. Le maintien de ces liens est un élément essentiel de la construction identitaire ; en effet, les enfants définissent leur appartenance en référence aux personnes qu’ils ont connues.
Les personnes à l’enfance internationale ont tendance à multiplier les études, les expériences professionnelles, les pays de résidence, voire les partenaires. La peur de souffrir de la séparation leur a appris à ne pas s’impliquer totalement. Pour prévenir cet écueil, les parents ont un rôle de modèle : montrer l’intérêt de s’investir dans chaque poste, en installant réellement la maison et en s’impliquant dans l’amitié, les activités et la vie locale. La vie est à vivre pleinement au présent.
Les personnes internationales sont souvent comparées à des caméléons qui savent s’adapter à toute situation. Le revers de cette qualité est une certaine difficulté à s’intégrer totalement dans un groupe social ou une culture donnée. Leur adaptabilité leur permet de passer inaperçues, mais en réalité elles se sentent comme des « immigrants invisibles » (expression de D. Pollock). Elles ont appris à ajuster leur comportement par rapport au contexte et à la situation, plutôt que par rapport à leurs valeurs profondes. Ce fonctionnement, s’il n’est pas conscient ni utilisé de manière constructive, peut engendrer un malaise à l’âge adulte. Mais ce fonctionnement est aussi une compétence interculturelle, qui fait d’eux de véritables passerelles humaines et culturelles. Plus tôt ils en prennent conscience, plus vite leur identité internationale prend un sens dans le monde actuel, et leur y donne une place.
Les parents expatriés n’ont pas choisi la facilité lorsque qu’ils ont engagé leur famille dans l’expatriation. Tout au long de ces années, ils ont transmis à leurs enfants leur courage de quitter un lieu et leur audace d’en découvrir de nouveaux. Ils peuvent avoir confiance dans capacité de leurs enfants à intégrer le meilleur de cette vie. « Pour rien au monde je ne changerais mon enfance ! Il y a eu des moments difficiles mais qui finalement m’ont beaucoup appris ».
Bibliographie
Cécile GYLBERT, Les enfants expatriés : Enfants de la Troisième Culture, Les Editions du Net, 2014
Gaëlle GOUTAN, Adélaïde RUSSEL, L’enfant expatrié, accompagner son enfant à travers les changements liés à l’expatriation, L’Harmattan, 2009